30.11.2023

Emmanuelle Cosse, présidente de l’USH : «Nous devons améliorer nos connaissances sur les mutations des fonciers et la formation des prix»

La présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), Emmanuelle Cosse, fait le point sur les difficultés d’accès au foncier des organismes Hlm, ainsi que sur l’ensemble des paramètres qui entravent la production de logements abordables. Ses analyses prennent en considération les évolutions de ces vingt dernières années qui ont conduit à la situation actuelle dans laquelle 2,4 millions de ménages sont en attente d’un logement social. Elle précise également les raisons de l’engagement de l’USH dans le programme de recherche dédié aux défis économiques d’un foncier et d’un logement abordables.

Quelles sont les difficultés d’accès au foncier que rencontrent les organismes Hlm ?

Elles sont de plusieurs ordres. Historiquement, les organismes Hlm étaient associés aux stratégies foncières des collectivités, mais, au cours des vingt dernières années, ils ont été de plus en plus rarement destinataires de leurs offres foncières et moins souvent sollicités dans les consultations de gré à gré. Ces mutations se sont produites parallèlement au développement de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), ce qui a conduit les promoteurs immobiliers à acheter massivement et rapidement du foncier avec des moyens financiers supérieurs à ceux des bailleurs sociaux. Ces derniers se sont ainsi retrouvés marginalisés dans les négociations foncières. Ce n’est cependant pas le cas partout : il reste des territoires où les collectivités imposent encore que les bailleurs sociaux soient consultés. Mais avec la montée en puissance de la VEFA, les élus et les aménageurs préfèrent souvent négocier avec un seul interlocuteur, le promoteur, plutôt que de mettre également le bailleur dans la boucle. Ces derniers ont aussi perdu des forces vives qu’il serait utile de reconstituer pour être en mesure d’élaborer des stratégies foncières avec les collectivités. Les organismes sont également confrontés aux réticences de certains élus à construire des logements locatifs sociaux. Ces mêmes élus peuvent cependant se montrer plus ouverts à la construction de logements en accession sociale. Mais, dans l’ensemble, il est difficile d’estimer l’importance de ces phénomènes. Parfois, les constructions finissent par se faire avec retard.

 

Et sur les prix du foncier…

Bien sûr, leur hausse régulière et la concurrence des promoteurs privés mettent à mal les capacités des acteurs du logement social, déjà pénalisés par la baisse des aides à la pierre, le renchérissement des taux d’intérêt, la disparition de subventions dans certaines collectivités, sans même parler de la réduction de loyer de solidarité (RLS). Cette situation impacte les ressources des bailleurs sociaux et fragilise l’équilibre de leurs opérations. J’ajouterai qu’elle réduit leurs moyens de constituer des réserves foncières. Il faut aussi bien voir que la faible rentabilité des programmes de logements sociaux ne permet pas aux organismes d’acquérir du foncier à des prix exacerbés.

 

Voyez-vous d’autres raisons à l’augmentation des prix de la construction ?

On accuse le prix du foncier d’augmenter les coûts de la construction et c’est une réalité. Mais tous les autres postes subissent également des hausses, des matières premières à l’ensemble des prestations intellectuelles qui concourent à la construction. L’abondance des normes et de nouvelles législations contribue aussi parfois à cette tendance. La compréhension et la traduction actuelles des nouvelles exigences environnementales liées au ZAN, que j’approuve, ont par exemple pour effet de renforcer la concurrence sur les fonciers disponibles, tant avec les acteurs économiques (promoteurs privés, industriels, agriculteurs, etc.) qu’avec les collectivités locales qui souhaitent développer les infrastructures publiques.

 

Dans quelle mesure ces difficultés impactent-elles la production de logements sociaux ?

Sur ces cinq dernières années, moins de 100 000 logements sociaux ont été produits chaque année, alors que les objectifs de l’État étaient de plus de 120 000, et qu’une étude récente de l’USH évalue les besoins à 198 000 logements Hlm par an. Nous sommes donc très loin de l’enjeu, avec en 2023 une production qui était sans doute inférieure à 90 000 logements. Ce chiffre qui nous rapproche des niveaux les plus bas atteints durant les années 1990. Non seulement cette situation ne permet pas de répondre aux demandes de locatif social et d’accession sociale, mais elle a pour corollaire une production de logements souvent un peu trop chers pour les revenus des demandeurs. En effet, les fortes contraintes économiques et financières qui pèsent sur les organismes les mettent dans la nécessité de produire des logements au plafond des loyers plutôt qu’au plancher, ce qui, vous l’aurez compris, rend difficile la production de PLAI [Prêt locatif aidé d’intégration, catégorie de logements sociaux la plus accessible financièrement]. Ces contraintes pèsent également sur les programmes d’accession sociale dont les prix sont encadrés. Dans certains territoires, ils ne peuvent pas voir le jour faute de respecter les critères économiques fixés.

 

Tous les territoires sont-ils pareillement concernés et de quels outils publics disposent-ils pour faire face aux prix prohibitifs du foncier ?

Les difficultés sont plus ou moins grandes selon les territoires et les fonciers disponibles, plus complexes à exploiter parce qu’il faut souvent les recycler. Dans cette perspective, l’État a mis en place des outils dont les collectivités se saisissent. Je pense aux Établissements publics fonciers de l’Etat (EPFE) ou locaux (EPFL), mais aussi au Fonds pour le recyclage des friches qui est un outil précieux pour dépolluer des friches industrielles qui restaient souvent en l’état faute de financements. Les programmes Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain aident à reconstruire la ville sur la ville dans les communes moyennes ou rurales. On voit donc que des opérations qui ne grignotent pas de foncier supplémentaire sont possibles dans tous les territoires. Toutefois, on y remarque aussi une concurrence nouvelle avec d’autres acteurs intéressés par le foncier, ce qui complique la tâche des organismes Hlm. Quant aux métropoles, elles voient les prix du foncier flamber.


Christophe Cazeau - Terra©

Que proposez-vous pour surmonter les difficultés d’accès au foncier ?

À chaque fois que c’est possible, j’encourage les bailleurs sociaux à prendre directement en main la maîtrise d’ouvrage pour éviter les coûts de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) et à s’associer aux stratégies foncières des territoires où ils sont présents. Je constate aussi, et cela va dans le bon sens quand cette dynamique est maîtrisée, que des organismes créent ou réactivent leurs propres filiales d’aménagement. Dans certains territoires, ils sont d’ailleurs les seuls opérateurs de maîtrise d’ouvrage solides, capables d’intervenir sur le logement comme sur les équipements publics des collectivités. Il y a également des actions à mener sur la densification. Les organismes de logements sociaux sont des propriétaires fonciers qui peuvent se réinterroger sur leur patrimoine pour le surélever là où c’est faisable, ou exploiter des parcelles encore disponibles — soit pour la construction, soit pour la renaturation — et s’inscrire ainsi dans les objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN).

Je crois aussi beaucoup au développement en cours du dispositif alliant office foncier solidaire (OFS) et bail réel solidaire (BRS). Plusieurs milliers de logements ont vu ou vont voir le jour grâce à ce dispositif qui, en dissociant la propriété du bâti de celle du terrain, permet d’abaisser les coûts des logements et de réguler ceux du foncier sur le long terme. Enfin, j’estime qu’une fiscalité plus favorable à la production de logements est nécessaire. Par exemple, en encadrant les valeurs foncières, en baissant le taux de TVA, ou en instaurant un système de partage équitable des plus-values sur les fonciers qui prennent de la valeur à la suite des travaux d’aménagement effectués avec de l’argent public. Actuellement, cette valorisation bénéficie aux seuls propriétaires privés.

 

Avez-vous le sentiment que l’État prend toute la mesure du problème ?

Sur la réforme de la fiscalité foncière, on ne sait pas s’il est prêt à s’engager, et il faut reconnaître que cette réforme ne serait pas simple à mener à bien. Surtout, on ne connaît pas sa doctrine dans le domaine du foncier. D’un côté, il a créé des outils intéressants comme le Fonds friches et ceux dont nous avons précédemment parlés, auxquels j’ajouterais la reconduction, l’élargissement et le renforcement du prêt à taux zéro (PTZ) adapté à l’accession sociale. De l’autre, la RLS est maintenue, les aides à la pierre ont diminué, les cessions de fonciers publics avec décote sont au point mort, et la suppression de la taxe d’habitation a indirectement pénalisé les EPFE et les EPFL. Nous sommes donc dans une situation paradoxale.

 

En quoi est-il important pour l’Union sociale pour l’habitat de s’engager dans le programme de recherche sur le foncier et le logement abordables ?

Avec les difficultés que nous rencontrons dans la production de logements sociaux en nombre suffisant, nous devons améliorer significativement nos connaissances sur les mutations des fonciers, sur la formation de leurs prix dans la durée, sur les enjeux et les effets de la densification qui va se renforcer avec la mise en application du ZAN. Nous souhaitons aussi mieux connaître les stratégies foncières des territoires, et savoir pourquoi certains réussissent mieux que d’autres à maîtriser les prix du foncier. Il est donc important de mettre des chercheurs sur ces sujets. Leurs travaux nous aideront demain à forger des outils et des méthodes pour surmonter les difficultés actuelles et produire des logements sociaux en plus grande quantité et de plus grande qualité urbaine, notamment ceux aux prix les plus abordables.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi

Crédits photos : Marwen Farhat – USH©, Christophe Cazeau – Terra©

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