Enjeux et défis du foncier et du logement abordables

Se loger coûte cher, et de plus en plus : acheter son bien, payer son loyer, ses mensualités de prêt, ses charges de copropriétés, et parfois ses impôts. Parmi les nombreuses causes évoquées, le coût du foncier fait débat. Habiter et produire du logement, c’est aussi consommer des ressources naturelles, émettre du CO2 (un tiers du volume global des émissions directes en France). C’est un autre type de coût. Mais le logement n’est pas que cela : c’est l’espace de l’intime, investi par des valeurs multiples dont celle de l’attachement, qui ne se monnaye pas. C’est également un patrimoine, fruit du travail d'une vie pour les uns, actif inscrit dans des marchés globalisés pour d’autres. C’est enfin une responsabilité publique et un investissement collectif dont l’économie repose sur l’équilibre entre le coût pour la collectivité et l’utilité sociale qu’il remplit. Entre valeur d’échange, valeur d’usage et coût environnemental, les enjeux et défis économiques d’un foncier et d’un logement abordables sont au croisement de toutes ces questions. Ils revêtent de surcroît une dimension territoriale – tout ne se passe pas de la même manière partout – qui en complexifie encore l’appréhension d’ensemble mais donne à voir des pistes de travail prometteuses.

Crédit photo : © Arnaud Bouissou - Terra

Le défi de l’accès au logement

Sur l’ensemble du territoire, le coût d’accès au logement, à la location comme à l’achat, a augmenté bien plus vite que les revenus si bien que la demande de logement social demeure à un niveau élevé et excède l’offre disponible. Mais, en France hexagonale comme dans les outremers, les obstacles rencontrés par les ménages dans l’accès au logement sont très différents selon la nature des espaces considérés. Dans les métropoles, les loyers élevés, la mise en concurrence des locataires, ou les prix des logements pour l’accès à la propriété compliquent le parcours résidentiel des ménages, tout comme le manque de terrains disponibles pour construire ; dans les zones rurales et petites villes en déprise, c’est le mauvais état des logements dans les centres, la faible rentabilité des travaux d’amélioration et la vacance qui posent problème ; dans les territoires littoraux et touristiques, la concurrence de l’offre liée au tourisme (vacanciers, saisonniers) et des résidences secondaires contraint fortement la possibilité des habitants permanents et des nouveaux résidents de se loger dignement à un prix raisonnable.

Au-delà des phénomènes relevant de contextes spécifiques, comment expliquer la hausse rapide des prix du foncier et de l’immobilier observée ces vingt dernières années ? Raréfaction du foncier, renchérissement des coûts de construction, politiques monétaires accommodantes, accessibilité du crédit, action publique défaillante : les causes et les mécanismes de ce cycle inflationniste sont eux-aussi pluriels et se combinent, résistant aux analyses simplistes et alimentant de nombreuses controverses tant scientifiques que politiques.

Les inégalités de patrimoine immobilier qui en résultent renforcent les inégalités de revenus et génèrent, en parallèle, d’importantes inégalités dans l’accès au logement. Les personnes dont ni les parents, ni les grands-parents ne sont propriétaires ont de moins en moins de chances de le devenir. A l’inverse, être issu d’une famille multipropriétaire constitue un net avantage. Si cet effet « patrimoine » ne joue pas directement sur le mal-logement, il pèse cependant fortement sur les dynamiques de prix et de loyers – et donc dans l’accès au logement. Dans le cadre de ce programme de recherche, une équipe spécialiste des marchés fonciers et immobiliers traque ces effets pour les quantifier et les qualifier plus précisément et en évaluer les effets.

A travers la question de l’accès à un logement de bonne qualité à un prix raisonnable, se pose la question de la localisation de ce logement dont on sait qu’elle est liée. Mais la localisation peut se lire sous différents angles, objectifs ou subjectifs : proximité à son emploi, à son lieu d’études, aux infrastructures, aux commerces, mais aussi entre-soi ou mixité sociale. Le logement conditionne ainsi tout un droit à la ville quel que soit l’usage qu’on en a. L’une des équipes de recherche du programme documente à cette fin les différences entre les différents territoires français dans les défis d’accès au logement.

L’accès à un logement abordable et de qualité apparaît alors comme un défi économique aux multiples facettes, interpellant directement les acteurs de l’habitat mais aussi les politiques publiques nationales comme locales. Relever le défi économique appelle ainsi à examiner les politiques : celles qui aident les ménages à accéder à un toit et à y rester, comme les aides au logement ou le prêt à taux zéro ; celles qui conçoivent des dispositifs pour faire baisser ou contenir le prix des logements, comme le bail réel solidaire et l’encadrement des loyers ; ou bien celles qui régulent l’accès au foncier, comme la disposition Zéro artificialisation nette ou la constitution de réserves foncières à prix maitrisés par les établissements publics fonciers.

Crédit photo : © Stephanos Mangriotis - Popsu

Le défi de la production de logements abordables

En miroir des difficultés des ménages pour accéder au logement, élus, État, collectivités, organismes Hlm et l’ensemble des acteurs de l’habitat éprouvent de plus en plus de difficultés à concevoir et produire des logements abordables. Coût et concurrence sur le foncier disponible, envolée des coûts de construction, raréfaction des solutions de financement à long terme, faiblesse des ressources financières des ménages : les défis sont nombreux et ont considérablement pesé sur l’ensemble des chaines de décision et de production, à l’échelle nationale comme locale. L’action publique n’est pourtant pas dénuée de d’outils pour favoriser la production de logements de qualité à un prix raisonnable. Ces leviers méritent toutefois d’être réinterrogés ou d’être déployés plus largement.

La planification, à travers les plans locaux d’urbanisme et de l’habitat (PLU, PLUi, PLH, SCOT, etc.), et la fiscalité, en particulier locale, sont des outils classiques pour réguler voire contraindre la transformation du foncier, et pour stimuler ou orienter la production de logements. Mais leur rôle dans la dynamique des prix des terrains et des logements (neufs ou rénovés), et plus généralement dans la fabrique des décisions et des comportements des différents acteurs des marchés fonciers et immobiliers (propriétaires, investisseurs, promoteurs, collectivités, etc.) doit être mieux compris et pris en compte. C’est l’un des objectifs de deux des équipes du programme qui s’intéressent à l’influence des plans locaux d’urbanisme dans la formation des prix et les effets de la fiscalité locale sur la production de logements abordables. Le logement social, à travers un financement spécifique et la propriété de long terme par un organisme de logement social, demeure en parallèle l’instrument historique et privilégié pour proposer une offre de logements locatifs à loyer modéré. Pérennité de la capacité des bailleurs sociaux à construire et réhabiliter, gestion de la demande et des attributions, accompagnement du vieillissement des résidents : les enjeux actuels pour le secteur Hlm sont multiples. Dans le cadre de ce programme, une équipe de recherche cherche notamment à comprendre les effets du logement social dans la fabrique et la régulation des prix immobiliers et de la mixité sociale à l’échelle du quartier.

Depuis 2014, le développement des organismes de foncier solidaire (OFS) permettant aux ménages d’acquérir un logement grâce à un bail réel solidaire (BRS) ouvre une nouvelle voie pour la production de logements abordables en accession à la propriété. Ce mécanisme permettant à la collectivité locale, via un OFS, de détenir le foncier d’un logement vendu à un particulier gagne à être mieux connu, dans toute sa diversité, afin d’en accompagner la diffusion la plus large possible. C’est tout l’enjeu de la recherche portée par l’équipe COBRA qui cherche à comprendre et identifier la diversité de modèles économiques qui permettent aux OFS de développer une offre abordable complémentaire du logement locatif social.

Crédit photo : © Bernard Suard - Terra

Le logement abordable au défi de la transition écologique

A l’heure de l’urgence climatique, les défis d’accès et de production de logements abordables ne peuvent par ailleurs plus être pensés et travaillés hors d’une transition écologique devenue impérative qui réoriente la philosophie, les objectifs et les instruments de l’action publique. L’effort qu’elle implique est immense. Elle appelle à modifier nos pratiques et nos choix en matière d’habitat (en matière d’usage de l’espace et de densité urbaine par exemple) et à reconsidérer individuellement et collectivement nos aspirations. Elle se structure notamment autour d’un impératif de sobriété dans l’usage des ressources – foncières, naturelles ou énergétiques – qui se joue différemment en fonction des territoires. Or, là aussi, les ressources et capacités à affronter ces choix sont inégalement réparties, socialement et territorialement. Les stratégies et les pratiques des acteurs de l’habitat et des élus en matière de modes de production de la ville et du logement sont ainsi à réinterroger à la lumière de se double défi environnemental et social. Leur modèle économique reste encore largement à préciser et ses conséquences à documenter.

Dans le centre dense des métropoles, le défi de la transition écologique pour le logement abordable ne réside pas tant dans la sobriété foncière que dans la sobriété énergétique. La réhabilitation du parc de logements anciens est un enjeu stratégique. Les objectifs ambitieux fixés par l’Etat pour mettre fin aux « passoires » et aux « bouilloires » thermiques, à travers l’interdiction progressive des logements peu performants (DPE E, F, G) affectent déjà très largement le fonctionnement des marchés immobiliers. Des inquiétudes existent également sur l’éventuelle croissance d’un marché locatif informel, constitué de logements ne répondant plus aux normes, qui deviendrait un canal essentiel pour l’accès au logement abordable… mais de piètre qualité.

En dehors des métropoles et à leurs périphéries, la construction de logements neufs s’effectue en grande partie sous forme d’extension sur des espaces non bâtis : lotissements pavillonnaires, ou extensions de la ville. Or la prise de conscience des conséquences néfastes de l’artificialisation des sols sur les espaces naturels, agricoles et forestiers a abouti à l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici à 2050 introduit par la loi Climat & Résilience de 2021. Avec cet impératif de sobriété foncière, les logements neufs ne pourront donc en partie plus être construits en extension sur ce type de terrain, et sans doute pas la même manière et selon la même typologie. Les terrains sur lesquels ils seront construits seront plus souvent recyclés, c’est-à-dire déjà bâtis. Cela présente certains avantages – proximité avec les centres urbains, réseaux déjà installés – et des contraintes – en particulier financières, lorsqu’il faut dépolluer les sols par exemple. Le ZAN pourrait ainsi changer à la fois les localisations, les prix et les formes des nouveaux logements, mais aussi les logiques de l’aménagement et de la fiscalité foncière, jouant plus largement sur les dynamiques de justice sociale et de fabrique des inégalités. Une équipe de chercheurs s’attache à documenter ce phénomène en temps réel.

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