Nées à la fin du XIXe siècle, les coopératives Hlm ont dès l’origine orienté leur action vers l’accession sociale à la propriété. Si leur modèle se diversifie avec le temps, notamment par la location, elles puisent encore dans la philosophie du mouvement coopératif pour esquisser un autre rapport à la propriété, moins spéculatif, et donc plus abordable. C’est ce que détaille avec nous Vincent Lourier, directeur de la Fédération nationale des sociétés coopératives Hlm.
Hugo Christy : D’un côté, le logement social ou public, de l’autre, la pleine et entière propriété privée de son logement… On parle souvent du mouvement coopératif comme d’une troisième voie : troisième voie du logement ou troisième voie du foncier ?
Vincent Lourier : Il existe en effet un autre mode de production, d’appropriation et de gestion du logement, même si en France, cette troisième voie est marginale, voire inexistante. Cela s’explique par des raisons objectives et historiques : en comparaison d’autres pays, le secteur du logement public a pris chez nous une place beaucoup plus importante que dans d’autres pays. Là où elle s’est développée, la forme coopérative est surtout venue combler les limites du logement public ou de l’accession à la propriété classique.
Cela signifie que les acteurs publics ont bien joué leur rôle, en constituant un parc abordable de grande envergure : ce n’est donc pas un constat d’échec pour le secteur coopératif. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas soutenir ce secteur, qui vient compléter l’offre existante, notamment à l’heure du désengagement du secteur public de la production de logements abordables, ou encore pour développer une offre locale à destination d’une classe à revenus modestes ou moyens et qui aspirent à la propriété. Il existe également des aspirations sociétales pour une appropriation collective du logement, avec des processus de décision aux mains des habitants, et qui ne soit pas guidée uniquement par l’aspect financier des choses.
H.C. : Justement, de votre point de vue, où s’arrête le coopératif, et où commence le participatif ?
V.L. : Il faut distinguer coopératives d’habitants et coopératives Hlm, dont la situation est un peu particulière. Tous secteurs confondus, on distingue traditionnellement deux modèles de structures coopératives : d’une part, les coopératives de producteurs, qui reposent sur un partage des outils de production ; d’autre part, les coopératives de consommateurs. Les coopératives d’habitants, qui rassemblent des citoyens qui se mettent ensemble pour co-concevoir leurs projets et les gérer dans le temps, appartiennent plutôt à cette seconde catégorie.
Les coopératives Hlm, elles, sont à mi-chemin entre les deux modèles. À l’origine, nous sommes des coopératives de consommateurs : des habitants se sont mis ensemble pour produire leurs logements — c’est toute l’épopée des Castors dans les années 1950. Puis, les besoins en capitaux inhérents à la production de logements ont poussé ces coopératives Hlm à accueillir dans leurs structures des personnes morales, bailleurs sociaux, collectivités locales, entreprises, pour faciliter leur développement. L’aspect coopératif se retrouve ainsi aujourd’hui plus dans la gouvernance des structures, que dans la gestion des logements.
L’enjeu premier pour nous est de produire du logement abordable, en location ou en accession, même s’il nous arrive d’accompagner des collectifs d’habitants, et des bailleurs investis dans une gestion coopérative des logements. Certaines Coop’Hlm poussent les curseurs de la coopération en développant des événements, des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), ou en gérant des fonds de solidarité entre habitants. D’autres le font moins : c’est aussi cette grande diversité entre les modèles qui fait la richesse des Coop’Hlm. Les modes de vie participatifs, d’ailleurs, n’intéressent pas nécessairement tout le monde : certaines personnes n’ont pas du tout envie de discuter avec leurs voisins de comment gérer un espace partagé, savoir ce qu’on va faire du toit-terrasse, faire le planning du jardin potager… Et pourtant, elles ont des besoins de logements qu’il faut satisfaire.
H.C. On voit dans d’autres pays, comme en Suisse, que les coopératives systématisent la dissociation du foncier et du bâti pour produire des logements structurellement anti-spéculatifs et abordables. Comment procèdent les coopératives Hlm françaises pour déployer leur offre ?
V.L. : Nativement, les coopératives Hlm proposent principalement une offre d’accession sociale à la propriété dans un dispositif classique : les acquéreurs se rendent propriétaires d’un logement, sans dissociation du foncier et du bâti. Ces ventes ne se font qu’à des personnes sous conditions de revenus, et sont assorties de clauses antispéculatives à la revente [NDLR : souvent critiquées pour leur faible efficacité]. Le modèle reste coopératif, car nous superposons à cette vente en état futur d’achèvement (VEFA), la vente d’une part de la société qui a produit le logement, de sorte à associer dans la durée l’habitant à la gouvernance.
Parallèlement, notre fédération a milité aux côtés du mouvement de l’habitat participatif pour la mise en place du dispositif OFS-BRS (Organisme de Foncier Solidaire-Bail Réel Solidaire) en France, en suivant l’inspiration du modèle anglo-saxon des Community Land Trusts. Nous avons obtenu, sur le fil, la possibilité de créer des OFS externalisés à statut coopératif, co-gérés par un collège des habitants et un collège des producteurs de logements. Lyon, Montpellier, Strasbourg… Une dizaine d’OFS à l’origine des collectivités ont adopté cette forme, ce qui permet aux habitants d’avoir voix au chapitre sur la gestion de ces fonciers. Nous sommes persuadés de la pertinence de ce modèle. La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN) de 2018 a depuis également permis à n’importe quel bailleur social de devenir OFS, ce qui pousse à une forme de concurrence au sein des territoires.
Nous avançons également sur un autre modèle qui permet une forme de dissociation : la Société Civile Immobilière d’Accession Progressive à la Propriété (SCIAPP). Existant en droit depuis longtemps, cette formule permet de créer une SCI, dont le locataire rachète progressivement des parts, jusqu’à s’en rendre propriétaires pleins et entiers, sur des durées pouvant aller jusqu’à 40 ans, et en respectant toujours le triptyque classique : plafond de revenus, plafonds de prix, sécurisation Hlm. Deux coopératives ont amorcé des projets en ce sens, et nous tâchons de diffuser le modèle.
H.C. : Quel rôle voyez-vous pour le mouvement coopératif dans les années à venir pour massifier l’offre de logements accessibles ?
V.L. : Même si nous savons que notre place est modeste dans le monde du logement et dans le monde Hlm, nous savons aussi que nous pouvons faire plus. La question du financement existe, mais nous avons les compétences qui permettent de trouver des solutions : les coopératives suivent une logique économique et entrepreneuriale évidente, mais avec un but social, et sont de notre point de vue un outil d’avenir. À l’inverse d’un modèle capitalistique peu résilient et très sujet aux conjonctures, elles sont ancrées dans les territoires, décident localement, lèvent de l’argent dont elles connaissent l’origine.
Une question importante est celle de la volonté des collectivités, qui font souvent trop confiance aux acteurs privés qui achètent du foncier cher et promettent de renouveler la sociologie « par le haut ». La première génération des projets de renouvellement urbain a par exemple constitué une opportunité manquée : on voit bien que ce sont les habitants des quartiers eux-mêmes qui ont souhaité rester, le cas échéant, en passant du statut de locataire à celui de propriétaire. La clientèle moyenne/haut de gamme promise par les promoteurs n’est pas venue. Or, les CoopHlm n’ont eu accès à ces fonciers que de manière marginale, et n’ont donc pas pu jouer ce rôle stratégique dans les parcours résidentiels.
Dans certains territoires, comme à Rennes, les coopératives Hlm sont parfaitement reconnues en tant qu’acteurs de l’accession sociale à la propriété, donc ça fonctionne bien. Dans d’autres territoires, les élus sont beaucoup plus réticents : la question de l’appétence des politiques et donc de leurs résidents est centrale. L’État gagnerait également à adopter une stratégie plus claire, en matière de fiscalité de la détention du foncier, de mobilisation du foncier public.
H.C. : Et en dehors du champ du logement ?
V.L. : On voit bien que le problème du foncier spéculatif dépasse effectivement le seul monde du logement. Nous avons vu pu l’observer à l’occasion de la Kermesse de l’Immobilier Social et Solidaire (KISS), organisée à Paris en novembre 2024 avec des acteurs qui interviennent dans le champ du foncier économique, culturel, agricole… Nous nous connaissons, nous travaillons ensemble, et nous devons continuer à nous épauler pour faire progresser d’autres modèles de détention et de gestion du foncier.
Propos recueillis par Hugo Christy.
Crédits photos : Manuel Bouquet – Terra ©