30.01.2025

« C’est sur le segment du logement social que doit aller en priorité l’argent public ». Entretien avec Manuel Domergue de la Fondation pour le logement des défavorisés

Avec 15 millions de personnes mal-logées selon la Fondation pour le logement des défavorisés, augmenter l’offre de logements abordables est une nécessité. Mais peut-on concilier production de logements et enjeux écologiques, qui exigent optimisation de la consommation foncière, préservation des terres agricoles et de la biodiversité ? Quelle compatibilité avec les normes environnementales qui accroissent les prix de la construction ? Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation pour le logement des défavorisés, apporte des éléments de réponse.

Quel est l’état des lieux du mal-logement en France à ce jour, et dont la Fondation pour le logement des défavorisés dresse l’état des lieux annuel ?

Manuel Domergue : Dans un premier cercle, nous recensons quatre millions de mal-logés, parmi lesquels sont incluses les personnes logées chez des tiers, celles qui habitent des logements dépourvus du confort de base et les 330 000 personnes sans domicile. À ce premier cercle s’ajoute un second qui regroupe 12 millions de personnes fragilisées dans leur logement. Elles connaissent des situations telles que la précarité énergétique, le surpeuplement, un taux d’effort trop important pour payer leur loyer, des impayés avec menace d’expulsion ou résident dans des copropriétés dégradées. Au total, quatre et 12 font en réalité 15 millions parce qu’un certain nombre de ménages se situent à la frontière de ces deux cercles. Parallèlement, on constate aussi des formes d’amélioration assez ambigües. Si, d’une part, le confort moyen et les surfaces d’habitation sont en progression, ce qui est une bonne nouvelle, les prix de l’énergie et des loyers augmentent d’autre part, ce qui accroît le taux d’effort et le nombre de ménages à la rue ou en hébergement d’urgence qui ne peuvent suivre la hausse des loyers.

 

Quelles sont les conséquences de la chute de la production sur le mal-logement ?

Actuellement, la faible production de logements accentue la pénurie existante, surtout dans les zones en croissance démographique. Le déficit de logements continue donc à se creuser avec des effets en chaîne sur les parcours résidentiels. La production de logements neufs en quantité suffisante donnerait la possibilité à une partie des classes moyennes de quitter leur logement ancien pour le neuf et favoriserait leur remplacement par d’autres ménages moins favorisés issus du logement social ou de logements souvent dégradés. Or la pénurie de logements et le coût élevé de l’accession à la propriété comme des loyers grippent les mobilités résidentielles.

Il faut également prendre en compte l’évolution démographique. Pour l’heure, nous sommes dans la dynamique du baby-boom des années 2000 avec de nombreux jeunes qui arrivent à l’âge adulte et décohabitent, ce qui explique notamment la crise du logement étudiant. D’après les projections de l’INSEE et malgré la baisse des naissances depuis une quinzaine d’années, nous atteindrons le pic du nombre d’habitants vers 2040 et un peu plus tard, en raison des décohabitations, celui du nombre de ménages supplémentaires. Cette perte de dynamique démographique a certes des effets négatifs, mais elle allègera la pression sur les logements disponibles. À moins que l’évolution de l’immigration, très difficile à anticiper parce qu’elle dépend aussi des politiques que mettent en œuvre les pays voisins, ne vienne contrebalancer la baisse des naissances et rende nécessaire la construction de logements supplémentaires.

 

Quelle est selon vous la définition du logement abordable ?

Le logement abordable doit être d’un coût soutenable pour les ménages dans leur diversité socio-économique. Quand on observe la hausse des demandes de logement social — 2,7 millions en 2023 —, on s’aperçoit que 75 % d’entre elles sont faites par des ménages sous les plafonds, ou juste au-dessus, du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) [qui correspond au type de logements locatifs sociaux destiné aux ménages les plus modestes]. Pour ces catégories de population, un logement abordable doit représenter un taux d’effort de 200 à 300 euros, aides au logement déduites. Il faut bien avoir en tête que 50 % des actifs gagnent peu ou prou le SMIC. Autre paramètre important à prendre en considération : le statut des ménages. Ceux en emploi précaire ont peu de chance d’accéder à un logement locatif privé, surtout en période de pénurie où les loueurs deviennent plus sélectifs et retiennent en priorité les candidatures des ménages au statut le plus stable. Ce contexte fait du logement social le seul parc accessible à une grande partie de la population, surtout pour ces segments les plus abordables comme le PLAI et le PLUS. C’est sur ces segments qu’il faut recentrer la production pour loger les plus défavorisés. Par ailleurs, les restrictions de l’accès au crédit de ces dernières années ont évincé une bonne partie des classes moyennes de l’accession à la propriété.

 

Quels sont les enjeux que recouvre à vos yeux le logement abordable ?

Le principal enjeu est de développer une offre adaptée à la demande de logements très bon marché, mais pas seulement. Dans cette optique, le développement du logement locatif intermédiaire (LLI) [accessible à des ménages plus aisés que le logement social] a une certaine logique parce que, dans de nombreuses villes, entre le logement social et le logement privé au prix du marché, l’offre est très limitée. Mais, à l’épreuve des faits, encourager le LLI comme le souhaite le gouvernement, ressemble à une fausse bonne idée parce que la demande porte très majoritairement sur le logement très abordable qui connaît actuellement une grande pénurie. C’est donc sur le segment du logement social que doit aller en priorité l’argent public.

 

Comment le logement abordable peut-il contribuer à réduire le mal-logement ?

Il faut d’abord une offre de logement plus importante, mais pas, comme je viens de le dire, de n’importe quelle offre. Construire des logements pour les classes les plus aisées avec des aides publiques parce qu’elles pourraient ensuite dans le cadre de leur parcours résidentiel les libérer pour les classes moyennes qui à leur tour les laisseraient aux classes populaires relève d’une théorie du ruissellement qui n’est pas très rationnelle du point de vue de la dépense publique. Cet argent serait mieux investi pour faire directement du logement social.


Arnaud Bouissou – Terra©

Pourquoi avoir décidé de travailler en partenariat avec la Fondation pour la Nature et l’Homme sur la production de logements respectant les enjeux écologiques ? N’est-ce pas antinomique avec la production de logements abordables ?

Notre partenariat se fonde sur la volonté de concilier les enjeux écologiques et les enjeux sociaux. C’est dans cette perspective que nous avons choisi de co-élaborer un rapport avec la Fondation pour la Nature et l’Homme qui a cette même préoccupation. La mise en œuvre du Zéro artificialisation nette (ZAN) nous oblige à renoncer à la solution de facilité qui serait de continuer, comme avant, dans l’étalement urbain et l’artificialisation des terres agricoles. Nous en payons d’ailleurs le prix environnemental, mais aussi social avec l’éloignement des ménages des centres-villes, des emplois et des lieux de loisirs qui les rendent dépendants de la voiture et de ses coûts importants. Il faut y ajouter la pollution que génèrent les déplacements du quotidien et les catastrophes naturelles, amplifiées par une urbanisation mal maîtrisée. L’idée est donc de trouver des compromis entre les exigences écologiques et sociales dans le respect de l’intérêt général. Les dispositifs de mise en œuvre du ZAN offrent de nouvelles possibilités de densification en recyclant des friches et des sites déjà urbanisés. C’est bien sûr un travail plus compliqué et plus coûteux qui provoque des réticences chez les élus locaux. Ces réticences ne sont pas toujours dues à leur mauvaise volonté, mais souvent au constat qu’ils sont dépourvus d’outils et d’ingénierie pour reconstruire la ville sur la ville. Il faut un véritable effort de l’État pour les accompagner.

 

Faut-il absolument plus de foncier pour produire du logement abordable ?

Il nous faudra encore du foncier non artificialisé pour produire dans les prochaines années les 400 000 logements par an dont nous avons besoin. Mais ce foncier doit être consommé dans les stricts cas où il serait nécessaire, de manière raisonnée et limitée en surface et dans le temps. N’oublions pas que la sobriété foncière est un enjeu vital pour la conservation des terres agricoles, pour la biodiversité, pour la recharge des nappes phréatiques et pour éviter le ruissellement qui provoque des inondations dramatiques.

 

La production neuve est-elle indispensable à la production de logements abordables et à l’éradication du mal-logement ?

Pendant encore quelques années, une production neuve sera nécessaire pour compenser la pénurie de logements. Mais ce n’est pas la seule solution. Le recours à l’optimisation des mètres carrés existants paraît tout aussi indispensable. Plusieurs leviers sont utilisables : des incitations fiscales à remettre sur le marché des logements vacants ; l’arrêt de la construction de bureaux aujourd’hui trop nombreux et inutilisés pour favoriser leur reconversion en logements ; la réallocation sur la base du volontariat de grands logements sous-occupés ; la surélévation des bâtiments ; le recyclage des friches dont nous avons déjà parlé. Rien n’est simple dans tout cela, mais le temps de la ville facile est terminé. Il y a aussi la ressource de limiter les meublés de tourisme qui créent le paradoxe de voir des touristes occuper un logement et des habitants logés à l’hôtel… Le cas des résidences secondaires sous-utilisées reflète aussi un usage irrationnel des espaces disponibles. Mais la réponse la plus adéquate au mal-logement est à mon sens le développement du logement social qui assure une utilisation optimale du foncier à destination des résidences principales uniquement.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi.

Crédits photos : Juliette Pavy – Terra©

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