À l’instar d’autres territoires en croissance, Bordeaux Métropole pâtit d’un manque de foncier pour parvenir à concilier son développement avec la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers. Les limites de l’urbanisation ont été figées dès 2006 et assorties de mesures destinées à optimiser les usages du foncier déjà artificialisé. Marina Mialhe, directrice adjointe du foncier de Bordeaux Métropole et Grégoire Ferrer, responsable des études prospectives et opérationnelles en aménagement, témoignent des outils déployés par la collectivité pour atteindre ses objectifs de sobriété foncière, tout en accueillant les 10 000 nouveaux habitants qui arrivent sur son territoire chaque année.
Quelles sont les dynamiques de consommation foncière que vous observez dans le territoire de Bordeaux Métropole ?
Grégoire Ferrer : Nous observons une consommation foncière d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) encore significative, mais très raisonnable quand on la rapporte aux 10 000 nouveaux habitants accueillis chaque année ; elle représente aujourd’hui environ 69 m2 par habitant supplémentaire. La consommation d’ENAF a atteint en moyenne annuelle 116 hectares entre 2010 et 2020. Depuis 2021, elle a été réduite à 69 hectares et nous continuons à travailler pour atteindre, en 2030, l’objectif de 52 hectares qu’ont fixé les élus pour se mettre en conformité avec la loi Climat et Résilience. À noter que le ratio de 69 m2 de consommation foncière par habitant supplémentaire sur le territoire est très largement inférieur à la moyenne régionale et qu’au-delà des logements, ce ratio intègre les espaces collectifs, les équipements publics et les emplois générés par l’arrivée de nouveaux habitants, qui sont également consommateurs d’espace.
Comment observez-vous les dynamiques de consommation foncière ?
Marina Mialhe : Nous observons les consommations foncières depuis plus d’une douzaine d’années avec la mise en place du service Stratégie et prospective foncière au sein de la direction du foncier. Des bases de données consolidées sont constituées à partir des prix du foncier et de l’immobilier sur la base des transactions réalisées. Ces données, sans cesse enrichies et actualisées, sont analysées en rapport avec les autorisations d’urbanisme délivrées pour mesurer précisément ce que la consommation foncière permet de produire, pour quel usage et à quel prix.
Quels sont les objectifs de recyclage foncier et de production de logements sociaux de Bordeaux Métropole ?
M.M. : Bordeaux Métropole se doit de répondre aux besoins des habitants tant en matière de logements que de locaux d’activité économique. Nous poursuivons les objectifs de production inscrits dans le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et dans le programme local de l’habitat (PLH) tout en nous alignant sur la trajectoire du Zéro artificialisation nette (ZAN). L’objectif de 25 % de logements sociaux dans toutes les communes soumises à l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) n’est pas encore atteint partout, même si, en moyenne, dans l’ensemble du territoire, nous en sommes proches. Deux communes sont carencées avec reprise en main par le préfet, sans pour autant que la production de logements sociaux augmente dans les proportions espérées. Cinq autres communes ont signé des contrats de mixité sociale. Par exemple, la commune de Bordeaux, qui comptait un peu moins de 15 % de logements sociaux dans les années 2000, est aujourd’hui à près de 20 %. Ces améliorations ont été permises par la réalisation de certaines opérations d’aménagement d’envergure, mais aussi, par une action renforcée dans le diffus, compte tenu de la rareté des terrains.
Comment procédez-vous pour atteindre vos objectifs ?
M.M. : Dans un territoire très tendu comme le nôtre, cela passe nécessairement par une optimisation des fonciers disponibles déjà urbanisés et par une grande attention portée aux usages qui en sont faits. À cette fin, nous avons constitué un incubateur des futures opérations d’aménagement. Il identifie, dimensionne et qualifie les futurs secteurs de développement sur des fonciers proches des axes structurants de transports en commun, des gares et des entrées de l’agglomération. Ce sont des biens généralement sous-utilisés et/ou avec des usages monofonctionnels. L’objectif est d’y programmer des productions mixtes mêlant logements et activités économiques. Ces nouveaux quartiers seront conçus aussi bien comme des lieux de vie que des lieux de travail. En cas de mutation, nous sommes prêts à intervenir en lien avec l’établissement public foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine et d’autres partenaires, tels que les bailleurs sociaux et les promoteurs. Nous veillons à ce que les opérations d’aménagement qui en découlent soient associées aux axes structurants de transports en commun afin de limiter les déplacements du quotidien et les inconvénients qu’ils génèrent : temps de trajet, pollution, nouveaux investissements dans des infrastructures de transport…
G.F. : Nous avons également pris en considération dès notre premier PLUi, adopté en 2006, les obligations de la loi SRU et figé dans ce même document les limites urbaines de l’agglomération ce qui, d’une certaine manière, anticipait le ZAN. Cette enveloppe nous donnait de la marge que nous avons consommée pour répondre à la forte pression démographique (environ 150 000 nouveaux habitants en 15 ans). Les PLUi suivants ont confirmé ces orientations et fixé, conformément à la volonté des élus, un ratio de 50 % d’espaces urbains pour 50 % d’espaces naturels.
Vous reste-t-il encore assez de terrains disponibles pour faire face aux besoins ?
M.M. : Aujourd’hui, le foncier à mobiliser se situe essentiellement dans le tissu urbain déjà constitué, qu’il faut donc optimiser. Il s’agit, par exemple, de constructions très horizontales, d’anciens immeubles de bureaux avec beaucoup d’espaces mal utilisés comme de grands parkings ou des surfaces qui n’ont que peu d’utilité avec une faible densité d’occupation et dépourvues d’aménités.
Quels sont les principaux outils et partenaires avec lesquels vous travaillez à l’optimisation foncière ?
G.F. : Tous nos projets d’aménagement prennent racine dans le PLUi, qui est notre boussole. Sur le plan opérationnel, nous travaillons au quotidien et dans le cadre de démarches partenariales avec les bailleurs sociaux, nos sociétés d’économie mixte (SEM), notre société publique locale (SPL) et l’EPF de Nouvelle-Aquitaine. Nos décisions de délivrer des permis de construire sont fondées sur des études fines des tissus urbains existants que nous menons avec l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine. Ces études identifient les fonciers à recycler en connexion avec les infrastructures de transport. Les opérations de rénovation urbaine peuvent ensuite être conduites par des bailleurs sociaux ou des promoteurs sans intervention particulière de la collectivité ou avec son soutien, notamment quand les terrains à optimiser nécessitent des dépollutions, des démolitions-reconstructions ou des remembrements fonciers. Au niveau communal, des chartes de bonne construction et d’insertion urbaine et paysagère cadrent les relations avec les opérateurs.
Je voudrais aussi revenir sur le rôle essentiel de l’incubateur des opérations d’aménagement dans la rénovation urbaine. Outre l’identification des périmètres des projets potentiels, il nous aide à contrôler trois enjeux clés du recyclage : la maîtrise d’ouvrage publique, privée ou partagée avec des règles et des objectifs clairs ; la maîtrise foncière nécessaire pour développer des opérations et des politiques publiques au plus près de l’intérêt général, même quand elles sont menées par des acteurs privés ; le recours aux meilleurs processus d’urbanisation prenant en considération les enjeux de fiscalité urbaine.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez pour optimiser les fonciers et les aménager en fonction de vos objectifs ?
G.F. : Dans un territoire très tendu avec des fonciers rares et souvent occupés, la concurrence pour en assurer la maîtrise publique est particulièrement forte, y compris sur les usages que l’on destine à ces fonciers. Dans ce contexte, les prix très élevés contribuent à créer un climat de « guerre » autour de la maîtrise foncière. Certains secteurs disposent encore d’une relative abondance de fonciers, mais sont éloignés des réseaux de transport et des services et, par conséquent, ils ne sont pas optimisables rapidement. La puissance publique doit investir dans les infrastructures de ces quartiers pour les rendre viables. Ce faisant, elle donne de la valeur aux fonciers recyclables qui s’y trouvent et leurs propriétaires cherchent alors à en bénéficier par de la rétention foncière pour faire monter les prix de vente.
Et comment y remédiez-vous ?
M.M. : Bordeaux Métropole recourt à tous les dispositifs possibles. Il y a, par exemple, les emplacements réservés du PLUi, les servitudes de mixité et de diversité sociales, le droit de préemption urbain… Dans les opérations d’intérêt national (OIN), des zones d’aménagement différé sont définies. Plus précisément, pour éviter la hausse des prix du foncier qu’attendent les propriétaires, à la suite des travaux d’aménagement effectué par la collectivité dans leurs quartiers, nous travaillons avec nos collègues de l’aménagement du territoire (voirie, transport…) sur leurs projets afin de protéger nos intérêts en contrant cette évolution en amont, par des dispositions du PLUi. Le but est d’éviter de payer deux fois : une fois pour l’aménagement et une autre pour le surcoût qu’il génère en renforçant l’attractivité du foncier. Ce travail de maintien des prix est également mené avec l’EPF sur tous les secteurs d’intervention.
Pouvez-vous présenter des exemples emblématiques des recyclages auxquels vous avez procédé ?
M.M. : Il y a l’opération d’intérêt national Euratlantique avec le recyclage de friches ferroviaires et du quartier très dégradé autour de la gare de Bordeaux-Saint-Jean ; celle du quartier Brazza, un ancien secteur portuaire avec des industries lourdes et des problématiques de dépollution très importantes ou celle du quartier Bastide-Niel en cœur d’agglomération avec le rachat, là aussi, de friches ferroviaires à la SNCF. Dans tous ces cas, nous produisons à la fois des logements et des locaux d’activités économiques bénéficiant de dessertes de transports collectifs et d’équipements publics.
Dans ce contexte, la production de logements abordables pose-t-elle des problématiques d’équilibres économiques plus compliqués, et comment y remédiez-vous ?
M.M. : Il est en effet plus difficile d’équilibrer les bilans des opérations de construction de logements abordables et de logements sociaux. Outre le PLUi et les dispositifs déjà évoqués, nous avons mis en place un règlement d’intervention qui permet notamment des décotes foncières, en minorant le prix de vente aux opérateurs des terrains possédés par la puissance publique, en fonction des typologies de logements à produire. Le prix de sortie des logements aidés est plafonné et nous recourons au bail réel et solidaire (BRS) en le calant sur les logements en prêt social location-accession (PSLA). Dans le contexte actuel de crise du logement, nous contribuons de plus en plus à l’équilibre financier des opérations de construction. Dans le cadre du plan de relance du logement voté par Bordeaux Métropole, une enveloppe de 30 millions d’euros est ainsi dédiée à la production de logements sociaux, jusqu’alors bloqués faute de financements suffisants.
Quelles sont vos attentes en tant que partenaire du programme de recherche Les défis économiques d’un foncier et d’un logement abordable ?
G.F. : Nous souhaitons pouvoir bénéficier de données, de connaissance et d’expertises nouvelles sur le foncier, l’aménagement et le logement en particulier. Nous avons aussi besoin de mieux appréhender et comprendre les stratégies foncières des différents acteurs que nous ne connaissons pas toujours très bien. L’ensemble de ces connaissances doit nous permettre de développer des outils de gestion, de concertation et de régulation avec les acteurs privés, publics et parapublics. L’idée est vraiment celle d’identifier des moyens d’action plus efficaces pour nos politiques publiques. Par ailleurs, nous sommes désireux de contribuer à cette recherche en nourrissant les chercheurs de nos expertises et de nos observations de terrain afin de favoriser les comparaisons entre les différents territoires, notamment.
Propos recueillis par Victor Rainaldi.
Crédits photos : Damien Carles – Terra©