04.11.2024

Produire du logement abordable sans foncier  : quels outils mobiliser ? Entretien avec Blanche Guillemot, directrice de l’Habitat de la Ville de Paris

Malgré la quasi-absence de foncier constructible, une forte densité et des prix du logement élevés, la Ville de Paris déploie depuis une vingtaine d’années une stratégie ambitieuse en matière d’accès au logement social et abordable. Au fil du temps, la municipalité a été amenée à activer et à créer un nombre croissant d’outils pour y parvenir, tant dans le parc de logements publics que privés. Blanche Guillemot, directrice de l’Habitat de la Ville de Paris, détaille l’ensemble de ces dispositions en faveur du logement social et abordable.

Quel est l’état des lieux de l’offre de logements abordables à Paris ?

Le développement de cette offre est la priorité de l’exécutif parisien depuis plus de vingt ans. Sur le logement social, nous atteignions 23,7 % des résidences principales en 2023 au sens de la loi SRU [Solidarité et renouvellement urbain], soit une augmentation d’un peu plus de 10 points depuis 2001. Si l’on y ajoute les logements que nous avons financés et qui sont en cours de livraison, nous sommes à plus de 25 % de logements sociaux. Sur le logement abordable, catégorie qui englobe le logement locatif intermédiaire et le parc non conventionné des bailleurs sociaux, l’offre représente environ 5 % du parc de logements. Notre objectif renouvelé à l’horizon 2035 est d’atteindre 40 % de logements publics, dont 30 % de logements sociaux.

 

Comment pouvez-vous développer le logement social dans un contexte d’extrême raréfaction du foncier disponible ?

Toutes nos actions et nos objectifs à atteindre en 2035 s’inscrivent dans la Stratégie Logement adoptée en novembre 2022 par le Conseil de Paris. Elle explicite notamment le nouveau paradigme qui consiste à mettre en cohérence le développement du logement social et abordable avec une ville plus verte et plus respirable. Dans ce contexte, après avoir beaucoup mobilisé les ZAC [Zones d’aménagement concerté] pour produire du logement social, notre principal levier d’action réside aujourd’hui dans la transformation du tissu urbain existant en agissant sur plusieurs registres. Depuis une quinzaine d’années, l’un des leviers a été le conventionnement du parc des bailleurs sociaux qui ne l’était pas encore, afin de lui donner le statut du logement social et les garanties de pérennité et d’attribution aux publics prioritaires qui vont avec. Cette action a pu être menée parce que les immeubles de ce parc non conventionné appartiennent à la Ville et sont concédés par des baux emphytéotiques aux bailleurs. Des mutations foncières ont permis de relancer ces baux sur 60 ans avec un agrément de logement social, mais cette ressource se tarit.

 

Quels autres leviers mettez-vous en action pour développer le logement social ?

Nous acquérons des immeubles d’habitation sur le marché libre en procédant à une analyse systématique des déclarations d’intention d’aliéner (DIA) et en recourant au droit de préemption avec un budget d’intervention foncière de 250 millions d’euros par an. Au cours des dernières années, ces acquisitions sont devenues la principale filière de production de logements sociaux d’autant qu’en parallèle les bailleurs sociaux effectuent eux aussi des acquisitions d’immeubles d’habitation sur le marché avec le soutien financier de la Ville. La politique d’acquisition-amélioration représentait en 2023 la moitié de la production de logements sociaux à Paris. La Ville assure le portage foncier des immeubles qu’elle acquiert et signe un bail emphytéotique de 60 ans avec le bailleur social qui lui verse en retour un loyer capitalisé.

 

Je précise que cette politique d’acquisition est en ligne avec nos objectifs de rééquilibrage de l’implantation des logements sociaux dans Paris entre les secteurs déficitaires et non déficitaires. En plus de ces opérations, nous intervenons également sur la transformation de foncier public ou institutionnel (anciennes écoles, locaux ministériels, etc.) en logements. L’optimisation du parc existant des bailleurs est aussi dans notre panoplie d’actions, mais elle est assez marginale en volume.

 

Comme vous le constatez, nos leviers d’action sont en train de se transformer pour s’adapter aux réalités du terrain et notre budget consacré au développement du logement social a été porté à près de 650 M€ pour faire face aux coûts du foncier et de travaux élevés, aux exigences d’exemplarité environnementales de nos opérations et aux marges de manœuvre réduites des bailleurs sociaux.

 

Et pour développer le logement abordable que mettez-vous en œuvre ?

Nous avons créé la Foncière de la Ville de Paris qui a été agréée par l’État en 2019 en tant qu’office foncier solidaire (OFS) avec l’objectif de signer 1 000 baux réels solidaires (BRS) au cours de la mandature (2020-2026). Le dispositif OFS-BRS, en dissociant la propriété du foncier de celle du bâti, rend l’accession à la propriété moins onéreuse et permet de maintenir le caractère public du foncier à long terme. Notre OFS procède à des acquisitions dans les zones d’aménagement où nous avons une maîtrise publique du foncier et sur le marché libre où les terrains sont bien plus chers. Pour l’aider à équilibrer les opérations les plus coûteuses, la Ville et les bailleurs parisiens partenaires ont capitalisé la Foncière à hauteur de 35 M€.

 

Nous sommes également en cours de création d’une autre foncière pour le logement abordable que nous définissons comme un intermédiaire entre le parc locatif privé et le parc social. Elle sera aussi capitalisée par la Ville pour acquérir des immeubles et mettre les logements ainsi créés en location avec des loyers équivalents à ceux du logement locatif intermédiaire (LLI). Les statuts de cette nouvelle foncière sont en cours de validation et elle sera opérationnelle en 2025. Elle doit nous permettre de compléter notre politique en faveur du logement social.


Manuel Bouquet - Terra ©

 

Quelle politique de régulation du parc privé avez-vous mise en œuvre pour contenir le prix des logements ?

Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à l’augmentation des meublés de tourisme. Ce problème est aggravé par le développement des résidences secondaires dans Paris qui créent de la sous-occupation et alimentent le parc touristique quand les propriétaires de ces résidences les louent durant les nombreuses périodes de l’année où ils ne les occupent pas. Pour éviter l’attrition du parc locatif privé de résidences principales et la hausse globale des loyers générée par ces deux phénomènes, nous agissons à plusieurs niveaux. Nous régulons les meublés de tourisme en soumettant notamment leur mise sur le marché à compensation afin de préserver la surface totale d’habitation destinée à la location longue durée. Par ailleurs, les propriétaires ne peuvent louer leur résidence principale à des touristes que dans la limite de 120 jours par an. Évidemment, ce dispositif n’est pleinement efficace qu’à condition d’avoir une politique de contrôle et de contentieux systématique. Nous souhaitons davantage travailler avec les services fiscaux pour améliorer l’efficacité de ces contrôles. Nous attendons également avec impatience l’aboutissement de la proposition de loi discutée en début d’année au Parlement sur ce sujet, ainsi que la mise en œuvre du Règlement européen sur la régulation des meublés de tourisme auquel Paris a contribué activement au sein d’un réseau de villes organisé au niveau européen. Actuellement, nous estimons à 25 000 le nombre de logements loués illégalement en meublés touristiques et qui échappent ainsi au marché de la résidence principale.

 

Le cas des résidences secondaires de plus en plus nombreuses à Paris devient également un enjeu majeur. Pour l’heure, mis à part la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, nous manquons d’outils. Nous souhaiterions une fiscalité plus dissuasive, mais la décision relève de l’État et non de la Ville.

 

Vous avez aussi mis en place l’encadrement des loyers…

Oui, d’abord avec la loi ALUR, puis en 2019 avec la loi ÉLAN. L’encadrement des loyers consiste à respecter un barème de loyers de référence fixé par l’État, les compléments éventuels n’étant autorisés que lorsque le bien présente un caractère exceptionnel. Les locataires peuvent nous saisir pour que ce loyer de référence soit respecté par leur propriétaire même si leur bail est déjà signé. À l’été 2024, nous avions déjà reçu plus de 2 300 signalements et mis en demeure les bailleurs de restituer les sommes indûment perçues. S’ils ne réagissent pas à la mise en demeure, nous allons au contentieux. Le respect de ces règles est très important pour contenir la hausse des loyers. Une étude effectuée par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) en lien avec une équipe de chercheurs en économie du CESAER [Centre d’Économie et de Sociologie appliquées à l’Agriculture et aux Espaces Ruraux] montre que l’encadrement des loyers amoindrit leur hausse par rapport à ce qu’elle aurait été dans le cadre de l’évolution naturelle du marché (- 4,2 %).

 

Quel rôle joue le plan local d’urbanisme (PLU) dans votre politique en faveur du logement social et du logement abordable ?

Son rôle est essentiel et stratégique. Il le sera encore davantage avec le nouveau PLU bioclimatique qui fait du logement une priorité en cohérence avec la Stratégie adoptée fin 2022. Il sera soumis au Conseil de Paris en novembre 2024 et prévoit de nouvelles dispositions telles que l’abaissement du seuil de la servitude de mixité sociale de 800 m2 à 500 m2 ou bien la création de zones d’hyper déficit en logement social où la servitude passe à 50 % avec un objectif de rééquilibrage territorial. De plus, il augmente le nombre d’emplacements réservés au logement social en y incluant notamment des immeubles d’activité (garages, bureaux…) et en facilitant leur transformation en logements. Le PLU bioclimatique va également innover avec une servitude de mixité fonctionnelle obligeant les pétitionnaires qui effectuent des travaux lourds dans des immeubles de bureaux à créer au moins 10 % de surface réservée au logement.

 

Le PLU joue aussi un rôle essentiel auprès des grands propriétaires de fonciers publics. Par l’intermédiaire de la servitude de mixité sociale et les emplacements réservés au logement social, il les amène à prendre en compte la nécessité que nous avons de construire des logements sociaux et abordables et pas seulement leur propre stratégie patrimoniale. Mais la question du prix demeure un point d’achoppement parce que ces propriétaires cherchent à maximiser les revenus de leurs cessions pour financer leurs autres projets. En outre, un décret du 26 décembre 2019 sur les cessions de terrains de l’État et de ses établissements publics plafonne les possibilités de décote en faveur du logement social. Ces intérêts divergents donnent lieu à des négociations serrées pour trouver un accord. Mais cela donne lieu aussi à de belles réussites comme la reconversion du site du ministère de la Défense de l’îlot Saint-Germain (VIIe arrondissement) où la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) a pu aménager 254 logements et des équipements publics.

 

Comment conciliez-vous la nécessité de produire davantage de logements avec le souhait des habitants de disposer d’espaces verts et naturels ?

Ces attentes des habitants sont partagées par l’exécutif parisien. Le nouveau PLU bioclimatique maintient la priorité sur le logement et limite les possibilités de densification de l’habitat qui artificialiseraient encore davantage la ville. Il incorpore également de nouvelles règles incitant à la végétalisation, à l’accroissement des espaces de pleine terre et à la protection des arbres. Pour assurer la compatibilité entre la production de logements et la végétalisation, nous avons renforcé nos outils financiers afin de transformer l’immobilier existant. Nous accompagnons les bailleurs sociaux dans la débitumisation des espaces communs et dans la création d’îlots de fraîcheur qui bénéficient de financements spécifiques depuis trois ans. Nous incitons aussi à la végétalisation des toitures sur l’existant quand c’est possible et pour les nouvelles constructions, qui ont l’obligation d’effectuer une étude préalable en vue de les végétaliser.

 

Pourquoi la Ville de Paris s’est-elle associée au programme de recherche sur les défis économiques du foncier et du logement abordables ?

Le désengagement de l’État des aides à la pierre et les difficultés financières dans lesquelles est plongé le secteur Hlm en raison, notamment, de l’application de la réduction du loyer de solidarité (RLS) font que nous sommes à un tournant. Ce tournant nous oblige à réfléchir collectivement sur une autre façon de financer la production de logements et, particulièrement, sur la maîtrise foncière quand les gisements d’espaces de construction disponibles se raréfient. Notre participation à ce programme de recherche participe de notre volonté de trouver des solutions pour soutenir à long terme nos investissements dans le logement social et abordable. Nous devons imaginer et mettre en œuvre de nouveaux modèles économiques comme celui de l’OFS-BRS, mais aussi mieux comprendre, grâce à la recherche, l’efficacité de nos actions et mieux connecter celles-ci à la réalité opérationnelle.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi.

Crédits photos : Arnaud Bouissou – Terra ©

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