19.12.2023

Les efforts du Grand Lyon pour continuer à produire des logements abordables. Entretien avec Renaud Payre et Anne Warsmann

Historiquement très active dans la production de logements sociaux et abordables, la Métropole de Lyon n’en est pas moins frappée par de grandes difficultés d’accès au logement accentuée par l’attractivité du territoire. Si les causes de ces difficultés sont multiples, celle qui relève du foncier s’avère très prégnante. Renaud Payre, vice-président de la métropole délégué à l’habitat, au logement social et à la politique de la ville, et Anne Warsmann, présidente d'ABC Hlm et vice-présidente d’Auvergne-Rhône-Alpes Hlm (AURA Hlm) font le point sur la situation et les solutions mises en œuvre pour redynamiser la production de logements abordables.

Quels sont les freins rencontrés dans le Grand Lyon pour produire des logements abordables ?

Renaud Payre : Ils sont de plusieurs ordres. En début de mandat, après les élections de 2020, nous avons constaté une réticence de certains maires à délivrer des permis de construire, ainsi qu’un temps de réserve chez les promoteurs et les bailleurs sociaux. Ce temps leur était nécessaire pour s’adapter aux enjeux de la transition écologique qui introduit davantage de complexité dans la construction. Un autre frein à la production de logements abordables, celui-ci toujours à l’œuvre, est l’effet dévastateur de la réduction du loyer de solidarité (RLS) sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux. Enfin, à partir de 2010, les prix de l’immobilier et du foncier ont entamé une hausse régulière et soutenue qui a freiné la production de logements dans les années 2020. Depuis le début de notre mandat, ce sujet est au cœur de nos discussions avec les promoteurs embarqués dans une logique de concurrence qui les entraîne dans une fuite en avant. Résultat : les coûts du foncier ont flambé à un point tel que les promoteurs se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté en raison des répercussions qu’ils ont sur les prix de vente de leurs logements. Sur le marché libre, ils ont dépassé le plafond au-delà duquel les acquéreurs potentiels n’ont plus les moyens d’acheter. Outre la hausse des prix de l’immobilier, les candidats à l’accession à la propriété subissent l’augmentation des taux d’intérêt et de l’inflation. Le résultat est que les chantiers de construction ne démarrent plus, c’est même un effondrement depuis 2022. Et cela a des répercussions considérables sur le logement social, car sa production sur le territoire est très majoritairement programmée en VEFA [vente en l’état futur d’achèvement].

Anne Warsmann : La période que nous traversons est assez particulière parce qu’en dépit du fort soutien de la Métropole à la production de logements abordables, et notamment de logements sociaux, nous ne disposons pas des capacités suffisantes de construction et de réhabilitation pour répondre à la demande. Les prix du foncier sont devenus trop élevés pour les bailleurs sociaux, sans compter que les prix de la construction ont eux aussi augmenté. Nous rencontrons également des difficultés dans l’obtention des autorisations d’urbanisme, en lien avec les réticences d’élus et d’habitants devant la problématique de la densification urbaine.

 

La densification renchérit-elle les coûts du foncier ?

AW : Le lien entre les coûts du foncier et le renforcement de la densité est difficile à estimer. Le programme de recherche sur les enjeux économiques du foncier et du logement abordables pourra, je l’espère, nous aider à répondre à ce type d’interrogation.

 

Peut-on mesurer les effets quantitatifs de ces freins sur la production de logements abordables ?

A.W. : Nous observons un accroissement de la demande dans le parc social, parallèle à une baisse du taux de rotation des locataires Hlm et à une diminution relative de l’offre de logements sociaux par rapport à cette demande en progression. Concrètement, nous avons près de dix demandes d’accès à un logement Hlm pour un seul logement disponible. Parmi ces demandes, on compte aussi les mutations vers un logement plus grand ou plus petit. Cette saturation entraîne un blocage des parcours résidentiels. D’autant que les bailleurs sont confrontés à une autre problématique difficile à résoudre : les logements neufs sont plus chers que les anciens et des locataires qui voudraient, par exemple, passer d’un T4 ancien à un T3 neuf paieraient un loyer plus élevé.

R.P. : J’ajouterai que cette énorme pression des demandes ne prend pas en compte tous les habitants qui, par découragement, renoncent à entreprendre une démarche pour obtenir un logement social.


Arnaud Bouissou - Terra©

La production de certains types de logements abordables à la location et à l’accession vous semble-t-elle prioritaire ?

R.P. : Oui, nous avons par exemple un besoin considérable de logements PLAI [prêt locatif aidé d’intégration], les plus abordables, pour les personnes économiquement fragiles qui relèvent du premier quartile des revenus. C’est pour elles que le logement Hlm a vu le jour, mais aujourd’hui la machine s’est grippée. Sur la typologie des logements, nous mettons l’accent sur des appartements plus grands, en particulier les T5 pour lesquels nous subventionnons les bailleurs sociaux.

A.W. : Pour répondre aux besoins actuels et futurs, les bailleurs sociaux visent à produire de manière équilibrée des logements du T1 au T5. Mais nous sommes aussi tributaires du parc existant dans lequel il faudrait rééquilibrer l’offre pour nous adapter aux nouveaux besoins des habitants. Conformément aux souhaits de la Métropole, nous construisons donc un T5 par tranche de dix logements. Par ailleurs, en réponse à la forte demande de logements PLAI, nous en produisons de 25 % à 30 % dans tous les programmes de construction.

 

Quelles sont les solutions imaginées par la Métropole de Lyon pour remédier aux difficultés de production de logements abordables ?

R.P. : La Métropole a déployé une action très volontariste pour mettre en œuvre à grande échelle le dispositif de l’office foncier solidaire (OFS) et du bail réel et solidaire (BRS) en s’appuyant sur la Foncière solidaire du Grand Lyon. Dotée d’un capital de 40 millions d’euros, elle est notamment ouverte aux organismes Hlm et aux promoteurs pour agir sur l’ensemble du périmètre de la Métropole avec deux cibles majeures : les jeunes actifs avec de faibles revenus qui souhaitent accéder à la propriété, et les locataires du parc social proches de la retraite qui anticipent une baisse de leurs revenus. 1 300 logements sous le statut BRS ont été programmés sur trois ans, dont une partie est déjà en commercialisation avec une décote moyenne de 50 % par rapport aux prix immobiliers observés sur le marché. Le dispositif OFS-BRS présente l’avantage de maîtriser les coûts du foncier sans limitation dans le temps et de freiner la gentrification des quartiers populaires qui bénéficient d’une valorisation engendrée par des investissements dans les infrastructures publiques. Mais, pour fonctionner, ce dispositif doit proposer des logements à des prix supportables par les ménages modestes. Sur un quartier où nous éprouvons des difficultés à le faire, nous allons expérimenter une solution avec un bailleur social. Il s’engagera à faire des logements locatifs intermédiaires sur une durée qui reste à préciser (environ 15 ans) puis à les vendre en BRS.

A.W. : La Foncière solidaire soutient des opérations menées par des promoteurs et des bailleurs sociaux. Ces derniers ont la faculté de modifier leurs statuts pour constituer un OFS. Cela leur permet de procéder à la vente de logements Hlm dont les autorisations délivrées par la Métropole sont généralement conditionnées au fait que la vente s’opère sous le statut du BRS. En revanche, sur la production neuve, l’ensemble des opérations en BRS est porté par la Foncière solidaire métropolitaine.

 

Quelles autres solutions sont-elles mises en œuvre ?

R.P. : En 2022, la Métropole a effectué des préemptions foncières pour un montant de 50 millions d’euros, mais c’était une année exceptionnelle. En moyenne, nous sommes sur un rythme de 30 à 35 millions par an sur la durée du mandat. Ces acquisitions, essentiellement dans les centres-villes de Lyon et de Villeurbanne, permettent de produire des logements sociaux PLS [prêt locatif social] et PLAI qui introduisent de la mixité sociale dans ces quartiers. Je regrette cependant que l’administration des Domaines fixe les prix d’acquisition aux prix du marché. Ces prix ne tiennent pas compte du fait que ces fonciers sont préemptés pour construire du logement social donc dans un but d’intérêt général.

Nous avons également subventionné les bailleurs sociaux afin qu’ils se portent acquéreurs des logements en VEFA que j’évoquais précédemment et que les promoteurs ne parviennent pas à commercialiser. Cette opération est très positive en matière de production de logements sociaux, mais elle est trop coûteuse pour être reconductible sur plusieurs années. Il s’agit d’un plan d’urgence qui aboutira à sauver la production de 2 000 à 3 000 logements avec une mise de fonds de la Métropole de 10 millions d’euros.

A.W. : Les logements que nous allons acquérir grâce à ce plan d’urgence le seront en PLS et ils viendront s’ajouter aux logements sociaux qui étaient déjà programmés. Cette opération que l’on pourrait qualifier de sauvetage exige également un effort financier supplémentaire de la part des organismes Hlm pour acquérir des logements conçus en vue d’être vendus sur le marché libre et, de fait, plus cher. Sur le volet de la préemption foncière, il s’agit en général de bâtiments complets que la Métropole met à la disposition des bailleurs par un bail emphytéotique. À charge pour les bailleurs de les rénover, de les conventionner et de les louer. Ces opérations qui introduisent du logement social dans des tissus urbains déjà formés, où les organismes Hlm n’auraient pas les moyens de construire, font effectivement avancer la mixité sociale dans les quartiers résidentiels et de centre-ville.

 

Quelles sont vos motivations pour vous impliquer dans le programme de recherche sur les enjeux économiques du foncier et du logement abordables ?

A.W. : L’Association des organismes Hlm Auvergne-Rhône-Alpes (AURA Hlm) soutient et contribue à ce programme parce qu’il s’agit d’une thématique centrale pour l’ensemble du Mouvement Hlm. Nous souhaitons participer à la réflexion afin de mieux comprendre les mécanismes des marchés fonciers, les problématiques de sobriété foncière et les pistes d’action utiles à la production de logements abordables.

R.P. : La formation et la régulation des prix du foncier sont en effet des questions clés quand on cherche à produire des logements abordables. De plus, la Métropole de Lyon est historiquement impliquée dans les programmes de recherche initiés par l’USH, le PUCA et leurs partenaires. Je dirais enfin que la recherche-action est dans nos gènes, avec notamment une agence d’urbanisme qui a pour habitude de mobiliser des chercheurs.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi

Crédits photos : Arnaud Bouissou – Terra©

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