Dans le cadre du programme Les défis économiques d’un foncier et d’un logement abordables, l’équipe de recherche conduite par Sonia Guelton explore l’objet émergent que sont les organismes fonciers solidaires sous un angle économique qu’elle met en relation avec de multiples dimensions : modèles, montage, déploiement spatial des opérations, caractéristiques et positionnement des accédants à la propriété, etc.
Sonia Guelton, enseignante-chercheuse émérite en urbanisme au Lab’URBA, Université Paris-Est-Créteil conduit le projet de recherche « La contribution des OFS-BRS au logement abordable : une approche globale ». Son équipe de recherche est constituée de cinq autres chercheurs en urbanisme et aménagement : Claire Aragau, Claire Carriou (Lab’URBA, UPEC), Claire Simonneau (LATTS, Université Gustave Eiffel), Vincent Lasserre-Bigorry (LVMT, Université Gustave Eiffel) et Hélène Morel (LIST-CIEU, Université de Toulouse).
Pouvez-vous nous présenter votre projet de recherche ?
Notre sujet de recherche porte sur les organismes fonciers solidaires (OFS), un dispositif qui se développe à un rythme soutenu depuis 2020. Ils ouvrent des perspectives innovantes et prometteuses sur les marchés immobiliers, en répondant aux besoins en logement des ménages aux revenus modestes et moyens, tout en stimulant la production neuve. L’objectif de notre travail est d’examiner les apports de ce modèle en Île-de-France, non seulement du point de vue des OFS et des opérateurs qui les construisent, mais aussi du point de vue des ménages qui acquièrent ces logements. C’est une recherche qui porte sur le coût global du dispositif en prenant en compte toute la chaîne, de la construction jusqu’à la gestion dans le temps, notamment lors du renouvellement des baux.
Notre recherche pose trois grandes questions : premièrement, comment ce dispositif permet-il de réduire les prix du foncier et de l’immobilier, et qui supporte cet effort dans la chaîne ? Deuxièmement, sur quels territoires ces opérations en BRS (Bail Réel Solidaire) s’implantent-elles alors que nous assistons à leur émergence dans des zones modérément tendues et avec quelles variations en matière d’interventions publiques ? Enfin, quels sont les parcours résidentiels des ménages impliqués dans ces acquisitions et à quels efforts et engagements financiers correspondent-ils alors que se construit pour eux un nouveau rapport à la propriété ? Nous intégrons aussi une perspective internationale, car les difficultés d’accès au logement abordable se posent également ailleurs, en Europe et Amérique du Nord notamment, et font l’objet de débats académiques et professionnels. Des dispositifs similaires se sont développés à l’étranger, et ces retours d’expérience enrichissent notre réflexion.
Quels sont les grands résultats de recherche préexistants sur lesquels vous avez fondé votre projet ?
Il y a encore peu de travaux sur les OFS, car leur développement est relativement récent, bien qu’initié par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014. Jean-Philippe Attard, dès 2013, discute des modèles de Community Land Trust (CLT) nés aux États-Unis dans les années 1970. Il soulève des enjeux économiques et des questionnements sur les nouveaux modèles de propriété. En France, Vincent Le Rouzic (2019) a consacré sa thèse aux OFS, présentant des aspects pratiques et économiques. D’autres travaux plus récents, comme ceux d’Hélène Morel, alimentent également nos connaissances.
Nous croisons deux principaux corpus scientifiques : celui des modèles économiques de la rente à l’instar des réflexions de Jean-Louis Guigou et celui de l’économie de l’aménagement, enrichi par les travaux conduits sous l’égide du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture). Ce cadre est complété par des études sur les politiques du logement et les approches sociologiques de l’habitat, telles que celles de Yankel Fijalkow, Claire Carriou ou Jean-Claude Driant.
Quelles sont vos méthodes de travail ?
Nous avons constitué une équipe pluridisciplinaire qui utilise des méthodes complémentaires. Premièrement, nous échangeons régulièrement avec des partenaires professionnels, tels que les OFS, les consultants, les collectivités locales, les Établissements Publics Fonciers (EPF) et les opérateurs immobiliers. Cela nous permet d’accéder aux informations les plus récentes sur les évolutions du dispositif et d’engager des débats constructifs.
Deuxièmement, nous réalisons des entretiens avec les acteurs du secteur ainsi que des entretiens et des questionnaires auprès des ménages pour obtenir des données qualitatives. Enfin, nous analysons les données économiques fournies par les parties prenantes, à travers des études de cas. L’accès à des statistiques plus générales serait bénéfique pour contextualiser ces études et caractériser des typologies de ménages. Cependant, il y a un enjeu de confidentialité, les données étant souvent en cours de constitution.
En quoi vos résultats peuvent-ils alimenter le débat public ?
Étant donné que le modèle des OFS-BRS est en développement, les opérations sont encore peu nombreuses, mais en forte croissance. Nos travaux peuvent contribuer à éclairer ce modèle, notamment dans le débat politique en démystifiant ce modèle, notamment auprès des investisseurs et des acteurs du secteur. Il s’agit de comprendre comment se construisent ces opérations, et de mieux cerner les mécanismes économiques et fonciers à l’œuvre.
Comment vos travaux dialoguent-ils avec ceux d’autres équipes de recherche ?
Nous partageons des interrogations communes autour du logement abordable, notamment en ce qui concerne le foncier et le fonctionnement des mécanismes d’accès à la propriété. Bien que les méthodes des autres équipes soient souvent différentes, nos analyses sont complémentaires. Par exemple, le projet de recherche « Marchés du logement : dynamique d’usage du sol, dynamique des richesses, dynamique des prix », piloté par Camille Régnier, travaille sur la formation des prix immobiliers, un sujet qui croise les questions territoriales soulevées par le modèle des OFS-BRS.
Qui sont vos partenaires dans ce projet ?
Nous collaborons avec des partenaires clés, comme l’Établissement Public Foncier d’Île-de-France (EPFIF), la Chaire Aménager le Grand Paris, la Ville de Paris, la Coop Foncière Francilienne et Espacité. Ces partenaires connaissent bien le sujet et travaillent quotidiennement sur ces questions, ce qui nous permet d’être au cœur de l’action. Au départ, ces collaborations étaient surtout destinées à faciliter l’accès aux informations, mais elles sont rapidement devenues une source d’enrichissement de nos résultats. Il est essentiel pour nous de travailler en étant connectés aux réalités du terrain, face à un objet qui ne cesse d’évoluer.
Quels sont les aspects les plus novateurs de vos travaux ?
Ce qui est particulièrement novateur dans notre recherche, c’est l’articulation entre le foncier et l’immobilier, un aspect encore peu abordé dans la littérature ou la pratique. Il y a beaucoup d’idées reçues sur ce sujet, et notre travail permet d’y apporter des éclairages concrets. Observer, en temps réel, la constitution d’un nouveau mode de production et d’occupation du logement est aussi une démarche inédite et stimulante et se révèle extrêmement fructueux pour analyser les systèmes de logement. Le fait de travailler en interdisciplinarité enrichit également nos analyses, en mélangeant les approches et les compétences, ce qui nous permet d’aller au-delà de thématiques souvent cloisonnées.
Propos recueillis par Mikaël Dupuy Le Bourdellès
Crédits photos : Arnaud Bouissou – Terra©