14.10.2024

La contractualisation au fondement du modèle rennais du logement et de l’aménagement. Entretien avec Nathalie Demeslay et Christophe Blot de Rennes Métropole

Depuis plus de cinquante ans, Rennes et les communes de sa métropole collaborent de manière toujours plus étroite pour élaborer et mettre en œuvre leur politique de l’habitat. Cette coopération soutenue fait de la métropole un exemple pour de nombreux acteurs du logement. Ce modèle repose sur une approche globale et cohérente, avec un accent sur la maîtrise du foncier et la contractualisation des objectifs de production avec les communes, concrétisée par des contrats de mise en œuvre avec les aménageurs, les bailleurs sociaux et les promoteurs. Nathalie Demeslay, directrice de l’habitat de Rennes Métropole et Christophe Blot, en charge de la mission Programme local de l’habitat (PLH), présentent les principales caractéristiques du modèle rennais du logement, ses résultats et sa soutenabilité.

Comment définiriez-vous le modèle rennais du logement ?

Nathalie Demeslay : Je définirais le modèle rennais comme une approche globale et systémique, en cohérence avec les objectifs de notre programme local de l’habitat (PLH). Nous utilisons tous les leviers à notre disposition pour atteindre ces objectifs, dont la maîtrise publique du foncier et de ses prix, qui permet de garantir la réalisation d’opérations immobilières sociales et très sociales. Depuis 2005, la contractualisation que nous avons instaurée avec les communes de la métropole, les bailleurs sociaux et les promoteurs privés est notre principal outil de régulation publique. Cette contractualisation nous permet de travailler ensemble pour mettre en œuvre les PLH successifs, tout en prenant en compte les besoins quantitatifs et qualitatifs, à travers des orientations programmatiques couvrant divers aspects du logement : typologies, financements, qualité d’usage, performance énergétique, accessibilité, etc.

 

Christophe Blot : Le modèle rennais du logement repose également sur une culture de territoire partagée par tous les acteurs de l’habitat, ce qui favorise une logique de co-construction et une mise en œuvre collective de nos politiques publiques du logement, en se basant sur des objectifs communs.

 

Comment parvenez-vous à mobiliser les différents acteurs publics, privés et sociaux dans le cadre de la contractualisation ?

N.D. : La clé réside dans la construction des PLH en partenariat avec les communes, en partant d’un diagnostic partagé. Nous contractualisons les objectifs de production de logements, les orientations programmatiques et les productions spécifiques, comme les logements pour personnes âgées ou les aires d’accueil des gens du voyage. La contractualisation se décline opération par opération.

Concrètement, les communes s’engagent à maîtriser les coûts du foncier, en utilisant la « menace » du droit de préemption urbain (DPU), puis à respecter les orientations programmatiques et les objectifs qualitatifs du PLH. Cela est formalisé dans une convention tripartite entre la commune, Rennes Métropole et l’opérateur. La signature de cette convention déclenche les financements métropolitains. Ces conventions s’appliquent aux opérations de plus de 15 ou 30 logements, selon le type de commune.

Le logement social étant notre priorité, nous contractualisons également avec les organismes Hlm, tant sur les objectifs quantitatifs que sur les critères de qualité, les conditions de gestion, les attributions, et même jusqu’au niveau des loyers, avec l’introduction d’un loyer unique à l’échelle des 43 communes de la métropole. Nous nous mettons d’accord sur un modèle de financement commun afin de garantir nos objectifs de production neuve et de réhabilitation.

 

Et si certains acteurs ne jouent pas le jeu de la contractualisation ?

N.D. : En cas de refus de contractualisation, nous avons recours à des outils plus contraignants, comme le droit de préemption ou les servitudes (secteurs de mixité sociale, emplacements réservés, sursis à statuer…). Si un promoteur se montre vraiment réticent, nous pouvons, en solidarité avec les communes, bloquer ses projets sur le territoire métropolitain, car la majorité des opérations immobilières se déroulent sur des terrains d’aménagement public.

 

Vous avez évoqué une culture du territoire favorisant la contractualisation, comment s’est-elle formée ?

C.B. : Dans les années 1960, l’installation de deux sites industriels majeurs de Citroën a entraîné, avec la sous-traitance, la création de dizaines de milliers d’emplois. Cela a généré un solde migratoire rapide et important, combiné à une forte croissance naturelle de la population, dans le contexte des Trente Glorieuses. Pour faire face à cet afflux dans de bonnes conditions, les élus ont décidé dès 1970 de regrouper plusieurs communes en district, avec pour objectif la production de logements, notamment pour les salariés de l’industrie automobile. Il s’agissait aussi de favoriser le développement économique du territoire grâce à la coopération intercommunale — d’où ce lien historique entre politique économique et politique de l’habitat. Cette habitude de travailler ensemble s’est donc installée très tôt et s’est renforcée au fil des décennies.

À la fin des années 1990, face à l’insuffisance de l’offre de logements pour répondre à des besoins croissants — notamment en raison de la baisse de la taille des ménages —, la contractualisation a été renforcée pour garantir les objectifs de production en matière de logements.


Manuel Bouquet - Terra ©

Quels sont les résultats du modèle rennais en matière de mixité sociale et d’accès au logement abordable ?

N.D. : Avant la contractualisation, 80 % des logements sociaux de la métropole se trouvaient dans la commune de Rennes, contre seulement 20 % dans les autres communes. Aujourd’hui, nous avons atteint un ratio de 60/40, avec 25 % de logements sociaux (prêt locatif à usage social – PLUS – et prêt locatif aidé d’intégration – PLAI) dans les nouvelles productions. Nous avons également amélioré les processus d’attribution d’un logement social grâce à la conférence intercommunale du logement, et nous avons mis en place une cotation de la demande, qui favorise à la fois le droit au logement et les objectifs de mixité sociale. Cependant, ces rééquilibrages se sont révélés insuffisants. C’est pourquoi nous avons instauré le loyer unique, permettant aux ménages de choisir leur lieu de résidence sans être limités par leurs revenus. Avant cette mesure, 85 % des attributions dans les quartiers concernés par le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) concernaient des ménages dont les revenus étaient inférieurs de 30 % au plafond d’éligibilité au logement social. Aujourd’hui, ce taux est passé sous la barre des 60 %.

 

C.B. : En complément, je soulignerais que le modèle rennais et le PLH contribuent aussi à une plus grande diversité de l’offre. L’objectif de production de 5000 logements par an est réparti en trois catégories : les logements aidés par la métropole en location et en accession ; les logements régulés par un plafonnement des loyers ou des prix de commercialisation, donc sans financement métropolitain ; les logements libres, avec malgré tout une forme de régulation sur certains produits (prix de vente plafonné, dissociation foncier/bâti, etc.). Par ailleurs, dans un esprit de solidarité et d’équité, les aides versées par Rennes Métropole viennent corriger les impacts territoriaux des zonages d’État (123 et ABC), mal adaptés à la réalité et au contexte de notre territoire.

 

Comment la sobriété foncière imposée notamment par les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) impacte-t-elle le modèle rennais ?

N.D. : Nous avons intégré la sobriété foncière dans notre PLH dès 2005, ce n’est donc pas une question que nous avons découverte avec la loi Climat et Résilience. De plus, le concept d’aménagement en « ville archipel », adopté dès les années 1980, nous permet de préserver des espaces agronaturels et de limiter l’étalement urbain comme les phénomènes de conurbation. Des coupures nettes et vertes sont ainsi préservées entre chaque commune. Depuis plusieurs années, nos communes sont habituées à limiter leur consommation de foncier pour la construction des logements et des équipements nécessaires à leurs habitants.

 

C.B. : Dès 2005, le PLH nous demandait de construire deux fois plus de logements sur les mêmes surfaces. Cela a permis d’adopter une trajectoire vertueuse, ce qui aujourd’hui nous facilite la tâche pour être en ligne avec la trajectoire du ZAN. Mais au départ, sa mise en application a exigé de définir une capacité maximale de production en extension urbaine (50 hectares pour un objectif de production de 5000 logements) qui divise par deux une consommation déjà relativement faible. C’est un peu brutal. Il a donc été décidé que plus de la moitié des nouveaux logements seraient produits en renouvellement urbain. Les coûts de ces opérations étant plus élevés que la production en extension urbaine, la métropole les aide davantage. Pour maintenir les équilibres budgétaires et assurer la durabilité des financements, à l’inverse, ceux octroyés aux projets d’extension urbaine vont baisser progressivement.

Cependant, le fait d’avoir été vertueux avant l’entrée en vigueur de la loi nous oblige jusqu’en 2030 à produire un effort plus important que d’autres territoires en matière de densité. Mais, en fin de compte, les efforts déjà produits nous faciliteront l’atteinte de l’objectif du zéro artificialisation nette, ce qui explique que le sujet de la sobriété foncière n’ait pas été trop sensible lors de l’élaboration de ce nouveau PLH.

 

Le modèle rennais est-il reproductible ou peut-il inspirer d’autres territoires ?

N.D. : Notre modèle et nos méthodologies peuvent inspirer d’autres territoires, mais la reproductibilité, je n’y crois pas. Un modèle n’a de sens que dans le contexte particulier d’un territoire avec ses spécificités et celles de ses acteurs, son histoire, sa culture… Il doit être en mesure de recontextualiser les politiques nationales, d’où l’importance que les prochaines lois autour du logement et de l’aménagement ouvrent davantage de possibilités de différenciation et de territorialisation.

 

Dans le cadre du projet de recherche Les défis économiques d’un foncier et d’un logement abordables, Rennes Métropole est partenaire d’une équipe de recherche qui s’intéresse aux questions de fiscalité locale. En quoi cela était-il important pour vous d’étudier ce sujet à l’aune de l’enjeu du logement abordable ?

N.D. : Notre partenariat avec cette équipe de recherche pourrait s’inscrire ensuite dans un travail sur la refondation de la fiscalité foncière comme un levier en faveur du flux de production de logements et contre la spéculation immobilière. Cette réflexion est portée par Honoré Puil, vice-président de la métropole chargé de l’habitat. Des travaux de l’équipe de recherche, nous attendons qu’ils nous aident à identifier de nouveaux moyens d’action pour permettre de produire un foncier aménagé, abordable, déconnecté des logiques de marché.

 

C.B. : Le modèle économique de l’aménagement et du logement est depuis plusieurs années percuté par des prix du foncier en hausse et une augmentation des coûts de la construction liée, entre autres, à la nécessité de faire davantage de renouvellement urbain. Réinterroger ce modèle est donc indispensable pour aller chercher tous les leviers d’action possibles. Celui de la fiscalité apparaît capital pour assurer le financement de l’aménagement de demain et enfin produire du logement comme une réponse à un besoin fondamental, et non plus comme un produit financier.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi.

Crédits photos : Manuel Bouquet – Terra ©

 

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